« Moi j’ai une grande peur ici, j’ai peur de mourir toute seule. (…) j’ai une peur panique de ça. Pas trop pour moi, si je suis morte je m’en fiche, mais mon chien, qui va le sortir ? (…) De mourir toute seule, ça me fait… » s’inquiétait Églantine, 73 ans, dans notre rapport consacré aux liens entre solitude, isolement des personnes âgées et territoires (Petits Frères des Pauvres / Institut CSA Research, 2019). Quant à Nicole, 81 ans, elle avait tristement et funestement tout prévu… « Chez moi je dors au rez-de-chaussée, la nuit mon volet n’est pas complètement accroché, il est poussé. Dans une petite boite, j’ai mes clés. Comme ça le jour où on va me trouver morte, qu’on puisse rentrer sans tout casser. ».
Pour les 530 000 personnes âgées qui sont en situation de mort sociale, c’est-à-dire dans un isolement extrême, (Baromètre solitude et isolement des Petits Frères des Pauvres / Institut CSA Research, 2021), une crainte commune : celle de mourir seuls.
Aujourd’hui en France, notre Association dénombre une dizaine de cas de « morts solitaires » médiatisées en 2022. La réalité est probablement sous-estimée.
Morts solitaires : des facteurs qui mènent à ces drames
Lorsqu’on essaie de tracer les parcours de ces personnes disparues dans l’anonymat et l’invisibilité la plus complète, on observe qu’il s’agissait souvent de personnes âgées peu connues des services sociaux, en rupture avec la société ou avec des chemins de vie complexes.
Avant d’en arriver à ces situations dramatiques, ces aînés ont tout d’abord été des personnes qui ont commencé petit à petit, à se couper des trois cercles principaux de sociabilité (amicaux, familiaux et de voisinage). Dans notre rapport Isolement et territoires (2021), nous citions quatre facteurs qui expliquent principalement leur faible participation à ces trois cercles sociaux : les deuils, les déménagements, l’évolution d’un quartier et la faible sociabilité entre voisins.
J’ai peur de mourir toute seule
En effet, pour les aînés les deuils et les déménagements peuvent fragiliser le tissu social et amical et conduire à un repli sur soi. Tandis que l’évolution des quartiers (où les commerces et les habitants se raréfient ou changent) et la faible sociabilité entre voisins peuvent perturber les habitudes des personnes âgées et les pousser aussi à s’exclure peu à peu.
Pour notre Association qui alerte sur ce phénomène inquiétant, il est essentiel de mettre en place rapidement des mesures pour maintenir le lien social ou le restaurer et prévenir ces morts sociales.
Morts solitaires : passer sous les radars
Alors comment prévenir ces morts solitaires qui passent inaperçues ? Au fond, comment est-il possible de disparaître aussi facilement des radars ? Jean Dionis, maire d’Agen (47), qui a été confronté à un cas de mort sociale dans sa commune en décembre 2020 nous expliquait ainsi : « Nous avons été extrêmement choqués par le décès de cette dame qui habitait à 100 mètres de la mairie et qui a été retrouvée deux ans après son décès. C’était une dame seule et que nous n’avons pas su, d’une manière ou d’une autre, raccrocher à la vie sociale de notre ville. Elle était en contact avec une assistante sociale qui a été mutée et elle n’avait pas souhaité être suivie par une autre personne. Les personnes âgées peuvent être très marquées par la rupture et ne sont pas forcément en demande d’aides et en capacité d’accepter des changements dans le suivi social. »
Du côté de la commune de Libourne (33), où le corps d’une femme a été découvert le 31 décembre dernier 3 ans après sa mort, un fichier recensant les personnes vulnérables existait bien. Mais cette démarche étant à l’initiative de la personne âgée (ou de ses proches, si elle en a), elle ne saurait être exhaustive…
C’est le propriétaire qui a donné l’alerte. Jusqu’ici, personne ne s’était inquiété.
Avec l’automatisation de nombreux prélèvements, il semble qu’il soit aisé de tout faire fonctionner parfaitement pendant des mois ou des années comme l’ont montré certains cas où des personnes ont été retrouvées jusqu’à 11 ans après leur décès (en juillet 2019 à Nantes). « C’est le propriétaire, qui souhaitait vendre l’appartement, qui a donné l’alerte. Jusqu’ici, personne ne s’était inquiété. L’homme n’avait pas de famille proche, son loyer et ses factures étaient réglés par prélèvements automatiques. », notait ainsi Ouest France, dans son article (11/07/2019).
C’est pourquoi, souvent, il arrive que ces personnes finissent par être retrouvées par des huissiers venus réclamer un loyer ou le paiement des charges…
Pour éviter ces morts dramatiques, le Japon, confronté à plus de 30 000 cas de « kodokushi » (alias morts solitaires), aurait commencé à élaborer quelques solutions comme « des accords passés avec des entreprises privées pour faciliter la détection de seniors fragilisés, par exemple avec les distributeurs d’eau ou d’électricité, qui sont incités à communiquer dès que possible aux collectivités locales des anomalies dans la consommation de leurs clients âgés », nous détaille Sophie Buhnik, chercheuse à l’Institut français de recherche sur le Japon à la Maison franco-japonaise.
Des mesures à retenir en France ?
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