1- Violences aux femmes âgées : un cruel manque de chiffres
L’une des causes de cette invisibilisation de la violence subie par les femmes âgées, c’est qu’elle est peu (re)connue par les pouvoirs publics. En témoigne un manque criant de chiffres pour documenter le phénomène. Par exemple, les statistiques officielles des violences faites aux femmes enregistrées par les services de sécurité ne prennent pas en compte les femmes victimes de plus de 75 ans, comme si les violences conjugales s’arrêtaient à 75 ans… (chiffres ministère de l’Intérieur).
Pour notre Association, qui publie à l’occasion du 8 mars, un recueil de témoignages sur les droits des femmes âgées assorti de recommandations, il est nécessaire de supprimer les limitations d’âge pour toutes les statistiques traitant des violences faites aux femmes.
2- Des violences peu médiatisées
Si les quelques chiffres dont nous disposons montrent une certaine augmentation des violences conjugales chez les femmes de plus de 60 ans (10 % en 2022 VS 9,8% en 2020 ou 8,9 % en 2019), on constate malheureusement qu’aucun féminicide visant une femme âgée n’a créé une forte émotion collective ou n’a suscité de débat sociétal.
« Ces crimes suscitent moins de colère collective car on s’identifie moins aux victimes. Il y a cette idée que la mort a juste pris un peu d’avance, déplore Me Anne Bouillon, avocate spécialiste des violences faites aux femmes dans 20 minutes (08/02/2024). C’est tout à fait l’image de notre société : on accorde moins de valeur aux femmes âgées qu’aux plus jeunes. »
3- La maladie et la vieillesse, des facteurs aggravant les violences
Début février 2024, une femme de 77 ans était retrouvée morte à son domicile à Saint-Raphaël (83). Son mari, âgé de 85 ans, reconnaissait l’avoir tuée. Selon les premiers éléments de l’enquête, « le mari a pu tuer son épouse gravement malade et alitée avant de retourner l’arme du crime, un fusil à pompe, sur sa personne », expliquait dans un communiqué Pierre Couttenier, procureur de la République de Draguignan.
Depuis le début de l’année, parmi les 15 victimes recensées par le collectif Féminicides par compagnon ou ex, huit femmes âgées, souvent malades et dépendantes, ont été abattues par leur propre conjoint.
Des chiffres qui corroborent ceux du ministère de l’Intérieur : en 2022, sur 81 % de femmes victimes de mort violente au sein du couple, 12 % ont 70 ans et plus. Lorsque ces victimes sont âgées de 70 ans et plus, 53 % d’entre elles ont été tuées en raison de « leur maladie, vieillesse et/ou de celle de l’auteur ». Pour les Petits Frères des Pauvres, il est indispensable de sortir absolument des prismes de la vieillesse et de la maladie pour expliquer les morts violentes au sein du couple âgé.
4- Violences sur les femmes âgées : une question de génération ?
Si les violences sur les femmes âgées sont encore banalisées et si mal identifiées, c’est aussi parce que les premières victimes peinent à se reconnaître comme telles… À l’inverse des jeunes générations, les personnes âgées ont moins été sensibilisées durant leur jeunesse aux questions du sexisme, des violences, maltraitances… Elles étaient davantage dépendantes financièrement de leur mari qu’elles devaient supporter « pour le meilleur et le pire »…
Si elles ont subi des violences toute leur vie, l’emprise est d’autant plus dure à briser en vieillissant, lorsqu’elles perdent en autonomie et deviennent encore plus vulnérables…
« Depuis 26 ans que je suis avocate, j’ai toujours vu des femmes qui étaient battues. J’ai reçu des clientes âgées de 70 ans, 80 ans et plus, victimes de violences conjugales mais qui ne parlaient pas. Il s’agit d’une autre génération. Il y avait chez ces personnes une forme d’omerta parce qu’elles étaient conditionnées : on leur disait qu’il fallait qu’elles se taisent et qu’elles subissent. Dans leur jeunesse, elles ont été élevées avec l’idée qu’elles devaient écoute et obéissance à leur mari. », dévoile Aurore Boyard, avocate experte en violences intra-familiales à France TV info (07/02/2024).
5- En Ehpad, des abus de toutes sortes…
En décembre 2022, le site Mediapart révélait une nouvelle enquête glaçante sur les cas d’une centaine de femmes âgées âgées, résidentes d’Ehpad et souvent dépendantes, victimes de viols. Dans 46 % des cas, les auteurs des violences faisaient partie du personnel. Suivent des résidents, hommes, et des personnes extérieures à l’établissement (dont des membres des familles).
Quant à la Fédération 3977 qui recense les maltraitances sur les personnes âgées, 65 % des victimes sont des femmes. La plupart des maltraitances signalées ont lieu à domicile, mais 27 % sont reportées en établissements… (rapport d’activité 2021). Les principales maltraitances dénoncées sont psychologiques (32 %), physiques (18 %) et enfin relèvent de négligences involontaires (15 %).
6- Une prise en charge compliquée pour les victimes âgées
Dans les (rares) cas où les faits de violences sont dénoncés, les victimes doivent affronter les lenteurs de la justice… Comme ce féminicide qui a choqué tout le monde à Montpellier le 20 février dernier, où une femme de 66 ans a été tuée par son ex-mari de 72 ans sur le parvis du tribunal de la ville. L’ancien couple était divorcé depuis sept ans mais avait rendez-vous devant le juge des affaires familiales pour liquider leurs intérêts patrimoniaux, à la suite de leur divorce prononcé en 2016…
De plus, avec l’âge avancé des victimes et mis en cause ou leur état de santé, de fortes chances existent que les dossiers soient classés…
Enfin, les femmes victimes de violences sont aussi éloignées de leur domicile et placées par les services sociaux dans des centres d’hébergement qui ne sont malheureusement pas du tout adaptés aux personnes âgées. Encore une injustice…
Dans notre recueil Paroles de vieilles (et vieux) sur les droits des femmes, nous demandons ainsi la présentation de mesures de protection dédiées pour les femmes les plus âgées, notamment des solutions d’hébergement adaptées à l’âge de la victime.
À LIRE AUSSI :