Le brouhaha du réfectoire des Petits Frères des Pauvres s’estompe au loin alors que Raymonde prend place face à nous. À 81 ans, elle se tient là, prête à témoigner, une béquille à portée de main, drapée de la tête aux pieds dans un ensemble couleur lilas. Aujourd’hui, elle est venue attester des chiffres dévoilés par le dernier rapport des Petits Frères des Pauvres « Vivre sous le seuil de pauvreté quand on a plus de 60 ans ».
« Je ne sais pas pourquoi je suis née », commence-t-elle à raconter, en préambule d’un récit d’une vie entière à faire contre mauvaise fortune bon cœur. « Je n’ai pas eu de père. Ma mère, elle, ne m’a jamais prise dans ses bras. Pas un bisou », confie-t-elle. Pendant son enfance, Raymonde a connu la faim, les vêtements récupérés dans les poubelles et les nuits dans les terrains vagues d’Aubervilliers. Dans sa famille, l’amour ne régnait pas. Non, c’était plutôt « la bagarre au couteau et l’alcool ».
Pendant 23 ans, Raymonde était employée dans la restauration collective pour une mairie de Seine-Saint-Denis. À la maison, trois enfants l’attendaient. « À 18 ans, je me suis mariée avec le premier venu. À 20 ans, j’avais déjà deux gamins. » L’un d’eux était handicapé. C’est elle qui s’en est occupée. Pendant une dizaine d’années, elle a mis sa vie professionnelle entre parenthèses. Lorsqu’elle a eu des problèmes de santé à son tour, à 47 ans, elle a arrêté de travailler. Elle toucherait une petite pension, elle le savait, mais elle pensait qu’à deux « ça irait », avec le salaire de son mari. « Puis, un matin, il m’a demandé de partir.»
« Je ne sortais qu'une fois par jour, par obligation »
Depuis 2017, Raymonde vit dans un studio parisien de 30 mètres carrés. Ce sont les Petits Frères des Pauvres qui lui ont trouvé ce logement. Ici, elle respire, il y a même un petit balcon qu’elle a fleuri. Avant elle vivait dans un HLM au cinquième étage. Avec son handicap à la jambe et un ascenseur tout le temps en panne chaque sortie était optimisée : descendre les poubelles, chercher le courrier, faire les courses. « Je ne sortais qu’une fois par jour, par obligation. »
Même si sa retraite de 1 100 euros ne lui laisse que peu de marge, Raymonde compose avec. Près de 280 euros partent dans le loyer et 100 euros dans la complémentaire santé. Le midi, elle mange dans l’un des restaurants Emeraude gérés par le Centre d’Action sociale de la Ville de Paris. Six euros le déjeuner. « C’est un peu cher, mais cela me permet d’avoir au moins un repas complet par jour ».
Avec le reste, elle jongle entre les factures et les « à-côtés, les imprévus ». Comme 69% des personnes âgées pauvres, Raymonde a connu au moins une privation ces 12 derniers mois. Les loisirs, très peu pour elle. Mais Raymonde ne se plaint pas, les privations ont rythmé sa vie. « Je me suis toujours habituée à vivre avec ce que j’avais. Je me suis enfermée dans ce que j’avais le droit et pas le droit d’avoir. Par exemple, j’aime bien regarder les vêtements dans les beaux magasins, mais je sais que je ne pourrais jamais m’en payer. Alors, je regarde, mais sans avoir envie. »
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