3 raisons me rendent particulièrement heureux d’ouvrir notre 11ème congrès :La première raison il constitue la manifestation réflexive et prospective de commémoration du 70ème anniversaire de la création de l’association par Armand Marquiset et qu’il réunit pour cela toutes les composantes de la famille des petits frères des Pauvres.La seconde raison : il se déroule à Lille, sur « mes » terres (excusez-moi Christophe et Pierre de Saintignon), du moins celles où j’ai découvert et intégré les petits frères des Pauvres il y a maintenant, quelques années, c’était en 1969, ! j’étais lycéen, je vous laisse compter… C’est en effet sur ces terres des Hauts de France, au sein de la fraternité de Lille de l’époque j’ai eu la chance de m’engager à des places différentes, celle de bénévole, puis celle de permanent salarié puis celle de président de fraternité…La troisième raison est très liée à la thématique que nous avons retenue pour ce congrès, qui est celle de la pauvreté et des différents visages qu’elle peut revêtir… thème qui me tient particulièrement à cœur et qui est lui-même au cœur de la mission première des petits frères des Pauvres depuis 70 ans… mission que l’on pourrait résumer ainsi : « Aller-vers, accueillir, entrer en relation et accompagner les plus Pauvres ».Mais qui sont donc ces plus pauvres aujourd’hui vers qui nous devons aller… ces plus pauvres que nous avons vocation à accueillir et à accompagner prioritairement ?Depuis 70 ans, cette question est perpétuellement interrogée au sein de l’association. Chaque équipe d’action se doit d’en débattre, en regardant autour d’elle, selon les besoins de son territoire, selon les capacités et les ressources bénévoles et les partenaires disponibles.Nous ne partons pas de rien. Nos textes fondateurs, la charte, les statuts, précisent qui sont ces personnes vers qui nous voudrions aller :En priorité des personnes de plus de 50 ans, souffrant d’isolement ou de solitude, d’exclusion, de pauvreté matérielle, de précarités multiples, de maladies graves…Notre projet associatif actualisé lors de notre dernière assemblée générale précise davantage :Il mentionne : des personnes qui ont de faibles ressources… qui n’ont pas les moyens de se faire connaître… qui vivent des situations aigües de souffrance et d’exclusion ; il donne des exemples tels que : les personnes vivant dans les quartiers les plus défavorisés des zones urbaines ou en milieu rural, les personnes atteintes de maladies graves ou en fin de vie, les personnes emprisonnées, les personnes en situation de grande précarité, sans domicile fixe, les personnes issues de l’immigration, et sans doute aujourd’hui faut-il ajouter les réfugiésNous le voyons, nous le savons, les personnes âgées en situation de pauvreté vers lesquels nous pourrions aller sont nombreuses.Il faudrait tout d’abord s’accorder sur la dénomination de « personnes âgées », une locution commode qui s’est substituée à celle de vieillards et de vieux Amis qui ont longtemps prévalu dans le langage petits frères des Pauvres.Cette référence à l’âge je l’interrogerais à partir de la définition qu’en donnait Pierre Bourdieu qui a d’ailleurs enseigné la sociologie à l’Université de Lille. « L’âge est une donnée biologique socialement manipulée et manipulable ». De ce fait l’avance en âge pour ne pas dire la vieillesse à force d’être rejetée et exclue serait-elle devenue « innommable » pour reprendre l’interpellation de Jean Jacques Amyot. De fait elle souffrirait plutôt d’être « surnommée ». En effet si nous ne parlons plus des vieillards, des vieux au profit de termes plus neutres réputés moins stigmatisant ceux-ci contribuent à créer des distinctions elles-mêmes génératrices de nouvelles ségrégations : sans m’étendre sur les notions de troisième et de quatrième âge tombées elles aussi en désuétude, j’évoquerais plutôt la dénomination « les seniors » qui connaîit un succès grandissant, ceux-ci n’étant pas encore des vieux seraient plutôt de jeunes-vieux, d’autres préfèreront parler « des aînés ou des âgés ». Mais alors comment parler des vieux-vieux ou des très grands vieux (les TGV) ?Ce que nous sentons néanmoins fortement depuis ces 10 dernières années, c’est d’une part la persistance voire la croissance des situations de précarité et la prégnance de l’isolement social parmi les personnes les plus âgées. Ces « invisibles » sont constitués pour l’essentiel des quelque 9 % de retraités dont les revenus se situent en dessous du seuil de pauvreté, titulaire ou non de l’ASPA dont le montant même récemment revalorisé à 800€ reste sensiblement en deçà du seuil de pauvreté (environ 1000€). Il faut rappeler que 25 % des personnes sans domicile fixe ont plus de 50 ans.Les personnes âgées en situation d’isolement souffrant potentiellement de solitude sont estimées par la Fondation de France à plus 25 % de la population âgée de +75 ans (soit près de 1 500 000 personnes. Par ailleurs Un Français sur 10 déclare ne pas pouvoir demander de l’aide à des amis, relations ou voisins, plaçant la France parmi les 3 pays d’Europe les plus touchés par l’isolement relationnel (selon les sources du CREDOC). Dès lors, le moindre incident peut se transformer en drame pour une personne fragile. Et nous le vérifions bien autour de nous, le sentiment de solitude touche beaucoup plus les personnes âgées, celles ayant des bas niveaux de ressources ainsi que celles qui souffrent d’une maladie chronique ou d’un handicap. Isolement, pauvreté, handicap institue souvent pour les âgés le régime de la triple peine. C’est d’ailleurs face à ce constat et cette évolution inquiétante, que nous nous sommes engagés encore plus fortement ces dernières années dans la lutte contre l’isolement et la solitude des personnes âgées, convaincu que les réponses à apporter ou à inventer localement relèvent de savoir-faire et de savoir-être que les petits frères des Pauvres partagent, enrichissent et développent depuis plus de 70 ans. Cet engagement s’est plus particulièrement affirmée au lendemain du drame de la canicule de l’été 2003 avec la création du collectif inter-associatif « Combattre la solitude ». Creuset duquel a émergé… La mobilisation nationaleMonalisa.La loi Adaptation de la société au vieillissement promulgué le 28 décembre dernier vient conforter cette mobilisation en érigeant la lutte contre l’isolement en pilier des politiques de prévention de la perte d’autonomie. A ce titre la formation et l’encadrement des bénévoles sont désormais éligibles au financement de la CNSA par le biais des conférences des financeurs. De son côté le plan gouvernemental de lutte contre la pauvreté a fini par intégrer la lutte contre l’isolement comme une des facettes des situations de précarité à combattreMais à part cela, Madame la ministre, force est de constater que la loi ne se situe pas à la hauteur des enjeux du vieillissement de la population. Tout en améliorant sensiblement le dispositif APA elle ne va pas assez loin sur la consolidation de son financement ; en se cantonnant à la réforme de la tarification des EHPAD elle ne traite pas le douloureux sujet du reste à charge pour les résidents, Enfin elle ne permet pas de conforter le statut dérogatoire des petites unités de vie et des habitats partagés du type de la colocation Alzheimer de Beauvais promue par notre association et dont nous avons pendu la crémaillère ensemble il y a quinze joursNous le voyons les besoins sont immenses c’est pour cette raison que votre conseil d’administration a voulu que notre projet associatif soit assorti d’un plan de développement ambitieux qui, sans vouloir sombrer dans la mystique du chiffre, devrait nous permette d’augmenter très sensiblement le nombre de personnes accompagnées et de bénévoles d’ici 2025.Ce plan de développement, fondé sur les projets de nos douze fraternités régionales sur lesquels vous avez tous transpiré, est sans précédent de par l’ampleur des ressources mobilisées, il doit s’accompagner d’une volonté forte de développer notre mission d’alerte sur les situations de précarité dont nous sommes les témoins dans les territoires où nous développons notre action. Ce rôle de lanceur d’alerte que nous revendiquons il faut le faire vivre chaque fois que nous constatons des inégalités, des discriminations et des maltraitances. Pour être entendus ces témoignages doivent s’appuyer sur la parole et la participation des personnes accompagnées.Cette implication de nos amis dans la vie de l’association nous y sommes très attachés et je souhaite que nous puissions en faire un axe de progrès de cette fraternité vécue au quotidien que nous avons érigée en valeur cardinale de notre engagement.AVEC les PLUS pauvres, vivre la fraternité… vous entendez combien chacun de ces mots nous engage.et nous amène tout naturellement à l’autre question comment envisageons-nous la relation avec les personnes accompagnées ? Selon les valeurs qui nous animent depuis 70 ans nous ne pouvons nous satisfaire d’une relation d’aide, qui distinguerait l’aidant de l’aidé, l’accompagnant de l’accompagné, distinction très prisée dans le champ du travail social. Il nous faut l’envisager davantage comme une véritable relation nourrie de reconnaissance, d’altérité, de réciprocité, de confiance, en un mot d’amitié, Armand Marquiset parlait d’Amour. Je vous invite sur ce point à découvrir l’ouvrage réédité de Gabriel Bertrand compagnon de la première heure d’Armand : « Soyez la vie ».C’est toute la force et l’originalité du message et du positionnement des petits frères des Pauvres. Originalité qui nous place moins dans le champ de la solidarité où il est avant tout question d’accès aux droits, que dans celui de la fraternité où il est avant tout question de tisser des liens, des relations sincères qui donnent ou redonnent le goût de vivre, le « goût de l’autre », tout particulièrement quand il s’agit de traverser des périodes difficiles ou de vivre la fin de sa vie.Nous avons conçu ce congrès en déroulant une réflexion en 3 temps. presque comme une valse, dans laquelle nous aimerions emmener nos « vieux amis » comme nous aimons le faire dans les réveillons, les fêtes et les séjours de vacances, en nous inspirant très librement de la parole du philosophe Emmanuel Lévinas : deux premiers temps pour dévisager et envisager ces visages de la pauvreté, que nous conclurons dans un troisième temps demain par la dimension de l’engagement avec les personnes accompagnées elles-mêmes, « ces visages avec lesquels on s’engage »,Pour conclure je citerai La Marraine de la Semaine bleue 2016 Bernadette Puijalon qui nous rappelle que « l’homme a davantage besoin de liens que de biens ». Une autre façon de poser cette question devenue notre devise « avons-nous donné des fleurs avant le pain »A toutes et à tous je souhaite un très bon congrès riche de bons moments de réflexion et d’échanges sans oublier la fête.Je vous remercie.Alain VillezPrésident des petits frères des Pauvres
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