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À Paris, un  »espace » pour les naufragées de la rue

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REPORTAGE – Elles ont été mère au foyer, avocate, maquilleuse… Mais à plus de 50 ans, la vie a fini par mal tourner. Après avoir connu la férocité de la rue, toutes ont trouvé refuge dans l’«espace femmes» créé par les petits frères des Pauvres à l’hôtel de la Réunion à Paris.

À 54 ans, Isa est arrivée là, une valise à la main (1). Place de la Réunion, près du cimetière du Père-Lachaise, dans le 20e  arrondissement, se dresse un vieil hôtel, le dernier refuge pour celles à qui il ne reste ni toit, ni liens.« J’étais totalement perdue »Située dans l’« espace femmes » qui occupe les 3e  et 4e  étages, la chambre d’Isa ne fait pas plus de 7 mètres carrés. Juste de quoi loger un lit, une commode, un bureau et un petit lavabo encadré de produits de beauté et d’hygiène. Pas de douche ni de toilettes : pour cela, il faut descendre au rez-de-chaussée. « Quand je suis arrivée ici, j’étais totalement perdue. Comment est-ce que ça a pu m’arriver à moi ? ».Ancienne cadre commerciale dans l’industrie, cette femme parle le français, l’anglais, l’italien et l’arabe. Elle habitait Milan, passait sa vie en voyage d’affaires. Elle doit maintenant survivre avec le RSA, c’est-à-dire 452 € par mois.La honte face aux prochesC’est le résultat de cinq ans de dégringolade : la perte inconsolable d’un enfant, une séparation après quinze ans de mariage, puis le chômage, voilà plus de deux ans. Issue d’une famille de six frères et sœurs, elle ne fréquente plus personne. La plupart de ses proches sont partis vivre aux États-Unis, en Algérie ou à Dubaï. Ils ne savent rien de sa situation : « J’ai trop honte de leur dire ce qui m’est arrivé. »Son dernier soutien fut son frère cadet de 45 ans. Il lui avait proposé d’emménager chez lui, à Paris, après sa rupture. Jusqu’à ce que lui-même rencontre quelqu’un. « Un samedi, il en a eu assez. Il a mis mes affaires sur le palier. » Par chance, Isa s’est vu proposer une solution d’urgence le jour même. « Femme à la rue, on s’imagine tout de suite le vol ou l’agression sexuelle. En m’évitant cet enfer, c’est un peu comme si on m’avait offert le paradis. »Une disparition des solidarités familialesLes petits frères des Pauvres ont créé l’« espace femme » en mai 2013. Depuis l’ouverture, 32 personnes ont été recueillies dans l’une des neuf chambres réservées. Les six premiers mois, elles sont dans une « phase de stabilisation » : un travailleur social vient faire le point au moins une fois par semaine.Il s’agit d’une première étape, en attendant de trouver mieux : une chambre plus confortable, un HLM, ou un petit studio. « Il y a deux ans, on s’est rendu compte que les solidarités familiales marchaient moins bien. On a vu de plus de plus de femmes d’âge mûr se retrouver sans domicile, après un accident de parcours », raconte Jade Lagaillarde, coordinatrice de développement social. Il fallait un dispositif immédiat pour les protéger.« Dans ma bulle, je me reconstruis »Samia est arrivée à l’hôtel de la Réunion le jour de la fête des mères, en mai 2014. À 61 ans, elle aurait pu aller dans d’autres centres d’accueil : l’Île-de-France compte plus de 2 500 places d’hébergement réservées aux femmes.Mais elle ne voulait ni trop s’éloigner, ni être prise en charge dans une structure collective. « Quand on est sans arrêt les uns sur les autres, ça n’aide pas. Moi, c’est dans ma bulle que je me reconstruis. » Aujourd’hui, la retraitée vit dans un studio où elle a elle-même cousu les rideaux, les coussins, les housses de couette.Des femmes fuyant les violences conjugalesParmi celles qui ont trouvé refuge à l’« espace femme », certaines d’origine étrangère s’étaient mariées très jeunes au pays. « Elles ont toujours vécu sous la dépendance de quelqu’un. Elles ont perdu tout repère », explique Jade Lagaillarde. D’autres ont fui les violences conjugales. Comme Cristina, une Brésilienne de 64 ans.Voilà six ans qu’elle a quitté son mari et tout confort. « Qu’est-ce que je pouvais faire ? Il allait me tuer… » confie-t-elle. Cristina s’est réfugiée un long moment à droite, à gauche, chez des amis, avant d’arriver aux petits frères des Pauvres. Enfin elle peut envisager l’avenir : « Vous verrez, je retomberai amoureuse et moi aussi j’aurais encore des étincelles dans les yeux ! »Aucune catégorie sociale épargnéeIl y a aussi celles qui, dans l’incapacité de régler leur loyer, se sont fait expulser de leur logement. Aucune catégorie sociale n’est épargnée : une femme médecin et une avocate sont passées par l’hôtel de la Réunion.Dans sa carrière professionnelle, Zahia, 67 ans, se vante d’avoir été la première maquilleuse du cinéma algérien, dans les années 1970. « Ma vie est un feuilleton », déclare-elle en guise de bande-annonce. Tout avait bien commencé : « J’étais une grande dame, autrefois. Mon mari était un architecte renommé à Alger. J’ai connu la voiture avec chauffeur et le personnel de maison. »Les mauvais coups du sortC’était l’époque où le président Houari Boumédiène voulait porter à l’écran les grands récits militaires, notamment celui de l’indépendance. En quelques années, elle devient la spécialiste du grimage et des blessures.Et puis il y a eu les mauvais coups du sort qui l’ont menée à passer les nuits à la rue pendant trois mois, en fin d’année dernière. « Le 115, je l’ai appelé des centaines de fois. Personne ne voulait me prendre, parce que je dois aller au lit avec un respirateur. La machine fait du bruit, elle empêche les autres de dormir. Alors on me répondait que ma place était plutôt dans une chambre médicalisée. »La férocité de la rueLa rue n’a pas tardé à montrer toute sa férocité. Un jour, alors qu’elle était assise dehors sur un banc, on lui a arraché son sac. « J’étais une proie facile. Pour être tranquille, il fallait me réfugier dans les fast food, où il y a des vigiles, puis au CHU pour la nuit. »Comment les choses ont-elles pu si mal tourner ? Zahia a cumulé les malchances. En 1979, son mari la chasse du domicile conjugal pour vivre avec une autre. Zahia divorce et lance alors un salon de coiffure, à Alger. Mais son mode de vie n’était pas du goût de tout le monde. Surtout pas des islamistes. « Je fumais, je ne portais pas le voile… bref, j’étais considérée comme une “mécréante”. »À cause de cela, elle raconte s’être fait enlever et tabasser dans une forêt. En 1992, la situation devient intenable : elle remplit ses valises avec son fils malade et se réfugie chez sa fille, à Paris. La cohabitation tient six ans. « À la fin, elle ne pouvait plus nous voir: elle nous a mis à la porte. » Zahia s’est retrouvée quelques jours à l’hôtel de La Réunion, avant de se voir proposer une autre chambre plus accessible, avec ascenseur, dans le 11e  arrondissement.Des petits riens qui changent toutPour toutes ces femmes, la vie reprend doucement. Avec des petits riens qui changent tout. À son arrivée, Isa se noyait entre les sanglots et les recherches d’emploi désespérées. Maintenant, elle prend le temps de souffler, sans brûler les étapes.Le 11 avril, elle partira en croisière sur le Nil, avec les petits frères de Pauvres. « Tout en continuant à postuler, je vais à la piscine, à la cinémathèque ou au centre culturel italien. Avec ma petite chambre, cela me rappelle l’époque où j’étais étudiante. » À présent, un nouveau départ semble possible.Pour Zahia aussi, les choses bougent. Elle fréquente l’« Étape », lieu d’accueil ouvert 7 jours sur 7, géré par la fraternité Saint-Maur. Là, elle s’initie aux dominos et au Scrabble. Elle a maintenant de nouveaux amis. « Il ne me reste plus qu’à obtenir un vrai appartement, avec de quoi cuisiner, et ce sera le bonheur. »Jean-Baptiste François | La Croix | 2/4/15(1) Les prénoms ont été changés

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Audrey Achekian
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