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Marie, une vieillesse au minimum

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Le Journal du Dimanche publiait dans son édition du 19 septembre, un article sur le million de retraités vivant en dessous du seuil de pauvreté. En illustration, le témoignage de Marie, personne accompagnée par l'antenne de la Fraternité Banlieue de Maisons-Alfort.

Une ombre traîne péniblement le long du mur, courbée sur une canne en bois. Le frottement lancinant des semelles sur le sol murmure. Marie est une invisible . A 80 ans, elle fait partie de ce million de retraités qui vit – ou plutôt survit – sous le seuil de pauvreté : avec moins de 906 euros par mois. Dans sa robe imprimée cachemire et son large chandail mauve, elle reste pour autant une mamie comme tant d’autres. Chaque semaine, elle attend, pleine d’impatience, la visite de ses petits-enfants pour lesquels elle a toujours un petit quelque chose . Romane a 12 ans. Clara a eu 7 ans jeudi. Lorsqu’elles viendront la voir aujourd’hui, Marie leur glissera un billet de 20 euros à chacune, pour ne pas faire de jalousie .D’ordinaire, elle leur achète une babiole ou un paquet de bonbons à 2 ou 3 euros. Pour ses petites-filles, Marie se prive des quelques plaisirs minuscules qu’elle s’accorde de temps à autre, comme les fruits qu’elle adore ; renoncera à un bifteck ou un sandwich grec, une bouteille de vin ou une plaquette de beurre; ne lira pas Nous deux, l’hebdomadaire qui porte bonheur… Lorsque la vieille dame explique qu’elle doit faire attention à tout , elle ne parle que de besoins de première nécessité : ses consommations d’électricité ou ses communications réduites au maximum, ses repas qu’elle saute parfois. Sa pension de 900 euros lui permet à peine de couvrir ses frais fixes: 390 euros de loyer, l’assurance de son studio à Alfortville (Val-de-Marne), l’électricité, le chauffage, le téléphone fixe indispensable pour tromper l’isolement, et l’emploi d’une aide ménagère. Il ne me reste plus rien ensuite. Même pas des miettes. C’est dur… Marie a longtemps vécu dans un deux-pièces cuisine qu’elle a quitté au début de l’été à cause des escaliers. Ce sont mes jambes qui ne me portent plus , raconte la vieille dame avec un beau sourire, assise dans un fauteuil en velours marron élimé. Bardées de bandes de contention – moins chères que les bas –, ses guiboles énormes lui pèsent autant que la peine qu’elle a à boucler les fins de mois.De relances en avis de saisie, elle a fini par se retrouver un jour face à une assistante sociale qui lui a proposé de rencontrer les petits frères des Pauvres. Piquée dans son orgueil, elle lui a rétorqué: Je n’en veux pas! Elle a finalement consenti à pousser la porte du local de l’association, en 2006. Le jour de Noël. Marie sourit: Je ne regrette pas. C’est comme une famille et même plus encore: ils sont toujours là pour moi. Ils lui ont notamment permis de s’équiper d’un appareil auditif en prenant à leur charge la moitié des 1.000 euros qu’elle aurait dû débourser. Ils l’ont aussi emmenée en vacances. Elle qui n’avait pas quitté Alfortville depuis le décès de son mari, emporté par un cancer à l’âge de 68 ans, a participé deux fois à des séjours à Wissant, dans le Pas-de-Calais. C’était formidable , souffle Marie, émue.Sa fille a dû l’aider à payer son loyerDepuis quatre mois, la vieille dame occupe un studio sans âme dans une résidence pour personnes âgées. Sans que cela lui coûte pour autant moins cher. A l’entrée du foyer: un vieux piano en bois noir face à un défibrillateur, une machine à cafés à 60 centimes, quelques chaises en rotin dispersées devant une tenture à fleurs. Elle a rassemblé sa vie au premier étage, au bout d’un long couloir, derrière une porte saumon.Le midi, elle prend son repas au réfectoire. Bien que le prix soit calculé en fonction des ressources, elle s’est limitée à un repas par jour, du lundi au vendredi. Cela me revenait trop cher. Le mois dernier, sa fille a dû l’aider à payer son loyer. Quand elle passe avec les petites, elle me fait quelques courses, me rapporte des produits ménagers, me coupe de temps en temps les cheveux , ajoute Marie. Sa fille était coiffeuse. Comme l’aîné qui a vendu ses deux salons pour acheter une brasserie à Aix-en-Provence. Il devrait m’aider, s’indigne la vieille dame. Mais je ne lui demanderai jamais rien. Marie a un budget de 90 euros par mois pour se nourrir. N’a jamais été pour autant aux Restos du coeur. Raconte: Pendant la guerre, des tickets de rationnement étaient distribués. J’avais demandé à ma mère: ‘On va en prendre?’ Elle m’avait rétorqué: ‘Jamais de la vie.’ Elle puise dans ses racines arméniennes un incommensurable orgueil. Raconte que son père a longtemps travaillé seize heures par jour pour que ses quatre enfants ne manquent de rien. Nous vivions mieux que maintenant. Il n’y avait pas autant à manger mais nous n’avons jamais eu faim. Comme ses parents, Marie a tenu une épicerie avec son mari. Nous avions un pavillon, de l’argent… Aujourd’hui, je n’ai plus un sou et c’est vraiment dur. Mais ce qui me manque le plus, glisse Marie tout doucement… C’est la tendresse. Avec l’aimable autorisation de Christel De Taddeo (Le Journal du Dimanche – le 19 Septembre 2010)

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Audrey Achekian
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