Recevoir la visite de son ancienne voisine qu’on connait depuis 20 ans ou d’une amie quand on réside en Ehpad… c’est parfois le parcours du combattant, depuis la crise sanitaire. Alors que le nouveau protocole en place depuis le 19 mai 2021 insiste sur le fait que « les résidents des établissements pour personnes âgées bénéficient, comme le reste de la population générale, de la possibilité de voir leurs proches et du respect de leur liberté d’aller et venir », certains établissements refusent toujours les visites des personnes qui ne font pas partie des membres de la famille. Or pour les personnes âgées qui sont isolées, la famille est malheureusement aux abonnés absents.
« De toute façon, pour moi, il n’y a pas eu un ou deux, c’est toujours le même confinement. Peut-être les gens ils ont été déconfinés, mais nous, on nous a dit, ben comme il n’y a pas de cas de COVID dans l’EHPAD, il vaut mieux que vous restiez dans l’EHPAD et que vous évitiez de sortir, donc pour moi, il n’y a pas de premier confinement et de deuxième confinement, pour moi il existe depuis la fin février. On est bloqué, on ne peut pas sortir, c’est toujours les mêmes restrictions. », regrette Edouard, 68 ans, qui vit en Ehpad dans les Hauts-de-France.
Des difficultés d’organisation internes qui privent les aînés de visites
Mais comment expliquer que certains établissements refusent encore aujourd’hui les visites, alors que la grande majorité des résidents et des professionnels sont vaccinés ? Alors que l’isolement des aînés a été tant décrié dans les médias, que le Défenseur des Droits a remis un rapport en mai dernier sur les droits fondamentaux des personnes âgées accueillies en EHPAD, pourquoi est-ce toujours si difficile de pouvoir visiter une personne âgée dans certains établissements ? Le poids de la responsabilité qui pèse sur les directeurs d’établissement pousse certains à appliquer les protocoles sanitaires de façon disproportionnée. De même, des préoccupations organisationnelles amènent certains à créer des conditions de visites qui n’existent dans aucun texte.
« Tous nos usagers sont entourés par des professionnels (de santé, d’étages, de restauration…), ils ne sont pas isolés comme vous l’écrivez », c’est ce que nous répondent des établissements, explique Magali Assor, chef de projet sur la démarche éthique au sein des Petits Frères des Pauvres.
Pour les Petits Frères des Pauvres, témoins de la solitude de certains aînés en établissements qui sont toujours privés de visites à l’heure actuelle, ces situations sont complexes. Conscients de l’épreuve traversée par les établissements d’hébergement pour personnes âgées depuis un an et demi mais attentifs en premier lieu au rétablissement des liens sociaux et affectifs des résidents qui en ont été si longuement privés, la juste posture à adopter est une préoccupation constante.
Pour notre Association, il apparaît pourtant primordial de rétablir du lien social pour tous ces aînés qui en ont cruellement manqué, d’autant plus aujourd’hui alors que la population générale a repris un rythme de vie normal. Par ailleurs, il est regrettable de constater que certains établissements donnent une priorité aux membres de la famille sur tout autre personne de l’entourage. Celles et ceux qui n’ont plus de familles doivent alors parfois patienter « une réouverture progressive de l’établissement ». Alors qu’ils ont été les premiers vaccinés, certains de nos aînés seront les derniers à retrouver une vie sociale..…
Le lien social, si indispensable pour nos aînés en établissement
« Le premier confinement a changé le rapport avec les familles. Les familles ne pouvaient plus venir, donc on avait mis en place des visios. Mais c’était compliqué. Il fallait appeler les familles et se connecter avec elles. Il fallait aller dans une chambre à part, ça amenait une logistique un peu anxiogène au sein de l’EHPAD. Il y avait plein de coups de fils en plus. Sauf que c’est du temps qui est pris aux autres qui, eux, n’ont aucune visite et aucun coup de fil. Et donc la seule présence qu’ils ont, c’est nous, les soignants. Et donc ces gens-là, on les a encore plus négligés pour permettre à d’autres qui avaient plein de liens sociaux de continuer à les garder. », témoigne Frédérique, aide-soignante en Bretagne dans notre rapport publié en mars 2021 sur les impacts de la crise sanitaire (Petits Frères des Pauvres / Institut CSA).
Alors, les infirmiers, aides-soignants… sont-ils des membres d’une famille pour ceux qui n’en n’ont pas ? Pas vraiment, répondent en cœur nos aînés interrogés dans le cadre de notre rapport. Même si leur présence permet d’atténuer un sentiment de solitude, tous décrivent un sentiment d’être face à des « proches par défaut ». Évidemment, les passages des professionnels de santé pour les soins, même s’ils sont l’occasion de discuter brièvement, ne remplacent pas les liens affectifs que les personnes âgées ont noué avec d’anciens voisins, des amis ou encore les bénévoles des Petits Frères des Pauvres.
Avec ces proches, ils peuvent discuter, jouer, se rappeler de bons souvenirs, faire quelques pas ou même profiter de la joie d’être ensemble. De plus, les proches ont un rapport au temps et à la disponibilité qui n’est pas du même ordre que les professionnels du soin ou de l’aide à l’autonomie. Rappelons enfin que le nombre de contacts qu’une personne peut avoir à la journée ne vient pas contrebalancer son sentiment de solitude. En effet, la solitude est avant tout un ressenti qui se traduit par un décalage entre des relations que vous estimez satisfaisantes pour vous et les contacts que vous avez au quotidien.
Recevoir la visite des personnes significatives en Ehpad
Peut-on vraiment considérer que refuser des visites à une personne âgée, c’est de la maltraitance ? En mars 2021, les travaux de la Commission nationale de lutte contre la maltraitance et de promotion de la bientraitance auxquels ont participé les Petits Frères des Pauvres, ont clairement énoncé que « la maltraitance est une atteinte aux droits comme aux besoins fondamentaux de la personne. Elle intervient dans le cadre d’une relation de confiance, de dépendance, de soin ou d’accompagnement. »
Pour les Petits Frères des Pauvres, les personnes âgées qui résident en établissements collectifs doivent pouvoir recevoir qui elles souhaitent. Parce que les Ehpad sont avant tout des lieux de vie, nos aînés doivent être libres de recevoir les personnes qui sont pour eux « significatives ». Cela peut être un voisin, un ami, une gardienne d’immeuble, un bénévole d’accompagnement par exemple. De la même manière que nous le faisons à domicile. De la même manière que le font tous les citoyens. L’entourage d’une personne âgée, c’est sa famille bien-sûr mais pas seulement. C’est pourquoi notre Association continuera toujours de défendre l’importance du lien social, des liens affectifs pour tous et particulièrement pour les plus isolés de nos aînés dont les liens familiaux sont devenus inexistants.
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