Petits Frères des Pauvres : Que retenez-vous particulièrement des résultats de notre rapport sur la vie affective, intime et sexuelle des personnes âgées ?
Dr Véronique Lefebvre Des Noettes : « Je trouve cette étude très bien illustrée, bien synthétisée et très intéressante sur les messages. C’est une étude passionnante parce que comme vous le dites, il y a très peu de recherches à ce propos. Dans tous les articles que j’ai publiés, j’ai beaucoup de difficultés à me documenter sur le sujet. Et s’il n’y a presque rien, c’est probablement parce que c’est tabou.
D’ailleurs, je constate également à l’hôpital que le message : « ce n’est pas parce qu’on vieillit, qu’on n’a plus de désir » est tout à fait exact ! Ce que je vois à l’hôpital mais également dans les Ehpad, c’est que les freins sont souvent institutionnels. Les soignants se projettent d’un point de vue moraliste : ce qu’ils doivent faire ou ne pas faire. Les soignants se sentent « en responsabilité ». Ils se disent que l’hôpital n’est pas fait pour ça. L’hôpital est un lieu qui est un peu « asexué », hors du temps, hors du monde. Quant aux patients, ceux qui ont des enfants se freinent par rapport à leur famille. Ils n’osent pas dire ou agir au regard de leur vie familiale.
Pour moi, il faut faire passer deux messages : l’amour dure tant qu’il se partage, certainement pas quand il y a abus de l’un sur l’autre (il y a des problématiques avec des patients atteints de troubles cognitifs) et que les encadrants, que ce soient les soignants en établissements ou les enfants à la maison quand il s’agit de personnes très vulnérables, n’ont pas à intervenir dans l’intimité tant qu’elle est consentie.
Ce que vous dites dans le 4e de couverture de votre nouveau livre, « La force de la caresse », c’est « quoi de pire qu’une vie sans contact, sans douceur, sans caresse ? » : c’est ce que vous avez constaté ?
Dr Véronique Lefebvre Des Noettes : Je trouve qu’il est fondamental d’être touché, c’est évident, sans parler forcément de sexualité. En vieillissant, la sexualité n’est pas réduite à la génitalité. Vous pouvez avoir des caresses très érotiques, très érogènes. Vous pouvez prononcer des mots très érotiques, avoir des attitudes sensuelles, des jeux érotiques… Parfois, c’est plus difficile pour les messieurs d’avoir une érection de bonne qualité ou pour les dames d’avoir la capacité d’accueillir intimement un monsieur, ce n’est pas pour autant qu’il n’y a pas d’amour !
Et puis un monde sans contact n’est pas un monde humain ! Depuis la naissance jusqu’au grand âge, jusqu’à l’ultime caresse, les êtres humains qui ne sont pas touchés, pas massés, pas caressés se laissent mourir. Ce sont tous les travaux de Winnicott, qui ont montré l’hospitalisme infantile. Les bébés abandonnés qui étaient recueillis à l’hôpital ou dans les orphelinats, étaient nourris et langés, mais ils se laissaient mourir de faim psychique. C’est tout à fait prouvé. C’est la même chose avec les personnes âgées, d’ailleurs on l’a vu pendant la Covid. On a vu que les personnes âgées qui n’étaient plus touchées se laissaient mourir de chagrin, dans ce qu’on appelle le « syndrome de glissement ».
Si on parle plus concrètement de sexualité cette fois, à l’hôpital ou en Ehpad, vous, en tant que psychiatre, quels conseils auriez-vous envie de donner pour que tout se passe au mieux, dans un monde idéal ?
Dr Véronique Lefebvre Des Noettes : Dans un monde idéal, de ne pas être dans le tabou de la sexualité, c’est-à-dire qu’elle existe et elle existera jusqu’au bout. Deuxièmement, il faut avoir du personnel formé. Les deux études françaises sur le sujet montrent que la sexualité des patients est mieux acceptée lorsque le personnel est formé en amont.
Il faut donc du personnel formé et des lieux où l’on puisse avoir des relations sexuelles lorsqu’on le souhaite. Il faut aussi des codes sociaux, parce qu’en général, ces relations sont interdites donc les patients se retrouvent dans le couloir, la tisanerie, l’ascenseur…
Il faut mener un travail institutionnel en collaboration avec la direction, le cadre infirmier, les personnels compétents. Il y a un savoir-être et un savoir-faire autour de ces questions qui touchent à l’intime.
Il faut montrer que la sexualité fait partie de la vie et qu’elle peut aider à améliorer la qualité de vie
D’après vous, comment peut-on briser les idées reçues et faire changer le regard à ce sujet ?
Dr Véronique Lefebvre Des Noettes : Il y a effectivement énormément de préjugés. Dans un premier temps, je pense utile de multiplier les formations des personnels soignants. Montrer que la sexualité fait partie de la vie et qu’elle peut aider à améliorer la qualité de vie (ce n’est pas un démon et ce n’est pas quelque chose à bannir de nos institutions), l’accompagner, avoir des codes sociaux pour faciliter sa mise en œuvre (cela peut être tout simplement de mettre une pancarte « ne pas déranger », comme à l’hôtel), pouvoir partager son ressenti en équipe et montrer qu’on peut accompagner dans des conditions dignes ces personnes pour une meilleure qualité de vie.
Les publications sur le sujet sont aussi nécessaires pour le rendre moins tabou, car les études sont peu nombreuses. C’est également pour cela que j’écris des livres maintenant car je veux témoigner et transmettre. Votre rapport est d’ailleurs d’une aide précieuse. Les Petits Frères des Pauvres, c’est un gage de confiance. Il n’y a pas de prosélytisme.
De manière générale, je pense qu’il ne faut pas choquer sur ce sujet, avec des mots obscènes ou même avec un discours qui se veut décalé, car les gens vont se refermer. Je pense que la meilleure des choses, c’est de témoigner et de montrer que ces personnes âgées ont aussi le droit d’avoir une qualité de vie agréable et la sexualité en fait partie (quand elle est acceptée bien entendu et consentie). »
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