La crise sanitaire a jeté une froide lumière sur le fonctionnement des Ehpad : de manière générale, un équilibre insatisfaisant entre prise en charge collective et libertés individuelles, et une dégradation des conditions de vie des résidents.
Pour les Petits Frères des Pauvres, il est temps de se pencher sur le modèle de l’Ehpad pour qu’il soit avant tout un lieu de vie où doivent s’exercer les libertés et les droits des résidents.
1- Des établissements pour personnes âgées à taille humaine
Pour imaginer l’Ehpad du XXIe siècle, il est d’abord essentiel de faire bouger les pratiques et de changer le regard de notre société sur les plus âgés plutôt qu’apporter de nouveaux supports juridiques.
Quant à la très médiatique violence en Ehpad : « Retenons qu’elle est rarement intentionnelle. Bien souvent, ce sont les fonctionnements des structures qui créent les conditions de survenance d’actes, d’omissions ou d’absence de réaction appropriée de la part des personnels », explique Claire Granger, directrice des ressources pour l’accompagnement des Petits Frères des Pauvres. « Le rapport au temps lorsque l’on intervient auprès de personnes âgées qui ont beaucoup perdu en autonomie est la clé. La toilette par exemple est le moment où vous entrez dans la bulle intime de la personne. Si on vous impose des cadences impossibles, on ouvre la voie à des pratiques maltraitantes » ajoute-t-elle.
Un des premiers impératifs semble donc de rompre avec la logique des gros établissements, privilégiée ces dernières années pour des raisons économiques. Comment maintenir des repères et des liens sociaux de qualité à plus de 100 résidents, qui plus est avec un personnel insuffisant ? Proposer des maisons à taille humaine est un axe fort de notre Association. Depuis 40 ans, nous avons éprouvé et approuvé ces modèles inclusifs. « Les résidences d’une trentaine de places sont un bon modèle, à la fois accueillantes et viables économiquement », soutient Fabrice Lafon, directeur de PFP-AGE. « Ce sont des lieux de vie où l’on se sent chez soi et en sécurité, avec des petits espaces chaleureux : le choix des couleurs, des matières, la décoration invitent au bien-être des résidents ».
2- Respecter le rythme de chaque personne âgée
L’accueil des personnes âgées en Ehpad doit cesser d’être organisé sur le modèle hospitalier. Pour notre Association, nos aînés y viennent pour poursuivre leur vie, non pour rester assignés dans une chambre de 15 m2. Par ailleurs, il est essentiel de mieux prendre en compte leur rythme de vie : réveil tardif, repas décalé, sortie selon son humeur, respect de son intimité…
Une telle révolution culturelle suppose plus de moyens, mais aussi d’autres modes d’organisation du personnel. « On aurait tout à gagner à avoir un personnel polyvalent, en charge de petits groupes, ce qui leur permettrait de mieux connaître les résidents, de nouer des liens, et contribuerait à ce que les tâches quotidiennes soient réalisées de façon moins mécanique et avec plus de respect », plaide Claire Granger.
3- Redonner envie à nos aînés
Comme l’a montré une enquête des Petits Frères des Pauvres, l’alimentation est un sujet majeur du quotidien des personnes âgées. « Manger, déguster est l’un des rares plaisirs qu’on peut avoir à la fin de sa vie. Or, on a beaucoup de réclamations sur le sujet », se désole Claire Granger.
Trop de personnes sont dénutries parce qu’elles n’ont pas assez de temps pour prendre leur repas, voire pas assez à manger. L’objectif de proposer une alimentation de qualité, qui a du goût, bio et fondée sur les circuits courts, ne semble pourtant pas inatteignable.
4- Créer des liens avec les territoires
L’ouverture des établissements à leur environnement, quartier, ville ou village, est d’ailleurs une évolution essentielle à mener. « Il faut une porosité, des liens avec l’extérieur », explique Jean-Louis Wathy, délégué général adjoint des Petits Frères des Pauvres. « Cela passe bien sûr par une ouverture plus grande aux bénévoles. Mais aussi par des politiques publiques d’aménagement du territoire, de transport, des politiques culturelles. De ce point de vue, nous espérons que le projet de loi 3 D (décentralisation, différentiation, déconcentration), annoncé pour janvier 2021, sera facteur de progrès ».
5- Généraliser l’habitat inclusif
L’habitat inclusif constitue enfin un modèle alternatif et complémentaire aux Ehpad. Le rapport Piveteau-Wolfrom a ouvert plusieurs pistes pour soutenir la construction et la gestion de ce type d’habitat, qui peut prendre de nombreuses formes : logements individuels autour d’un espace commun ou logements partagés de type colocation. De nombreux pays le pratiquent déjà (au nord de l’Europe, par exemple), et les Petits Frères des Pauvres aussi, à Beauvais (60), dans notre maison du Thil.
Hélas, le budget national dédié aux solutions d’habitat inclusif est aujourd’hui sous utilisé, les modalités de labellisation freinant le nombre de projets éligibles. Il y a encore du chemin à faire…