Petits Frères des Pauvres : comment avez-vous eu l’idée d’écrire cet ouvrage ?
L’Homme étoilé : J’ai commencé à collecter des histoires autour de mes patients à partir du jour où j’ai rencontré Mathilde, l’une des personnes dont je raconte le récit dans le livre. J’avais été assez impressionné par cette patiente, par sa famille, et puis par la « beauté » de son décès. C’est vrai que, souvent, on a du mal à associer l’adjectif « beau » au mot « décès », mais en l’occurrence, c’était vraiment un beau décès : un accompagnement dans l’amour, la sérénité et la paix. Cela m’a énormément inspiré et je me suis dit que je ne pouvais pas garder ça pour moi. Il fallait que j’en fasse quelque chose, que je raconte aux gens qu’on peut BIEN mourir en soins palliatifs et que cela peut être des prises en charge pleine de quiétude et de calme.
Je pense que c’est aussi le fait d’être souvent confronté à des réactions très négatives et pessimistes quand je parle de mon métier qui m’a aussi encouragé à montrer aux gens une facette qu’ils ne connaissaient pas.
Petits Frères des Pauvres : vous dites page 160, que c’est quand on s’interdit de se laisser toucher par les autres qu’il vaut mieux peut-être changer de métier : mais finalement, n’est-ce pas plus difficile à gérer de perdre un patient qui est devenu presque un ami ?
L’Homme étoilé : C’est vrai que je m’attache à eux mais parce que pour moi il est incompatible de travailler avec l’humain et d’essayer de s’en protéger au maximum. Je ne comprends pas cette notion de « distance » ou « juste distance » qu’on peut apprendre dans les écoles d’infirmières. Je préfère parler de « juste proximité », parce qu’on fait un travail dans lequel on a besoin de s’investir auprès de l’humain et je ne trouve pas cohérent de chercher à s’en protéger et à s’en distancer.
Ce qui m’aide sans doute à ne pas le vivre avec difficulté, c’est que je n’oublie jamais que mon objectif, ce n’est pas d’empêcher ces personnes de mourir mais de les accompagner au mieux de mes moyens jusqu’à l’issue fatale de leur maladie. Quand le décès a pu se passer dans des conditions sereines et sans douleur, avec le meilleur accompagnement possible, mon objectif est atteint. Malheureusement, le décès c’est l’issue inévitable sur laquelle je n’ai pas d’emprise et je ne cherche pas à en avoir non plus.
Mon objectif n’est pas d’empêcher ces personnes de mourir mais de les accompagner au mieux jusqu’à l’issue fatale de leur maladie
Petits Frères des Pauvres : vous brossez le portrait de Marie, une dame isolée qui a perdu le contact avec son fils. Les Petits Frères des Pauvres luttent justement contre l’isolement des personnes âgées, notamment dans les services de soins palliatifs où nos bénévoles proposent des visites à tous les patients hospitalisés ainsi qu’à domicile. Sa situation vous a-t-elle touchée ?
L’Homme étoilé : Marie, c’est une histoire que j’ai longtemps hésité à raconter parce que ce n’est pas évident de reconnaître qu’on a du mal à accompagner, à soigner… Mais finalement j’ai compris que ce n’était pas la personne en elle-même qui était source de difficultés mais plutôt ce à quoi elle me renvoyait. Marie, son isolement ne m’est pas apparu évident mais il faut dire que je ne lui accordais pas non plus l’opportunité d’en discuter avec moi parce que je limitais vraiment mes passages en chambre à l’essentiel. Ce qui me perturbait beaucoup dans cette histoire au départ, c’est que je ressentais qu’elle avait énormément de sympathie pour moi et je ne me l’expliquais pas trop parce que, moi, justement j’éprouvais beaucoup d’aversion pour elle.
Elle vivait un isolement familial mais elle avait beaucoup d’amis à ses côtés. En revanche, il y avait cette souffrance en elle qu’elle portait, d’une part du fait du deuil de son mari et d’autre part après l’abandon de son fils qui était source d’incompréhension pour elle. Je pense qu’au-delà de ça, à travers moi, elle a certainement vu une manière de réparer un bout de son chemin qui était un peu fracturé. Elle m’a demandé de l’accompagner dans son dernier voyage et ça s’est fait vraiment avec la poésie que j’ai essayé de mettre dans le livre. C’est beau ce turn-over dans notre relation.
EN SAVOIR PLUS :
- L’accompagnement des Petits Frères des Pauvres pour les personnes malades et/ou en fin de vie
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Petits Frères des Pauvres : vous dites dans le livre qu’en soins palliatifs, on « rajoute de la vie aux jours à défaut d’ajouter des jours à la vie » : c’est ce que font aussi les bénévoles des Petits Frères des Pauvres en visitant les personnes âgées. On dit qu’on essaie de leur faire retrouver « une dynamique de vie ». Cette maxime est-elle une sorte de leitmotiv pour vous ?
L’Homme étoilé : Totalement et je ne suis pas le seul à le dire : c’est une phrase qui guide et qui entoure le milieu des soins palliatifs. Elle a été prononcée par le célèbre cancérologue, le Pr. Jean Bernard et c’est tellement criant de vérité. C’est l’idée qu’effectivement, en soins palliatifs, malheureusement on n’a plus d’emprise sur la maladie et sur son issue mais on a encore une emprise sur ces derniers moments de vie et sur ce qu’on peut décider d’en faire. Effectivement, en soins palliatifs, on a cette préoccupation constante d’intégrer nos patients dans des projets de vie en étant tout simplement attentifs à leurs besoins et demandes et en leur permettant de les exprimer.
En soins palliatifs, on rajoute de la vie aux jours à défaut d’ajouter des jours à la vie !
C’est vrai que le milieu hospitalier a un côté très aseptisé, dans lequel les patients ne s’autorisent pas finalement à profiter. C’est un peu ce qu’illustre l’histoire d’Edmond, le patient qui aimerait tout simplement manger une dame Blanche et qui ne s’autorise même pas à la demander parce que pour lui l’hôpital ne se prête pas à ça. L’hôpital pour lui, c’est subir des plateaux repas qui ne sont pas très appétissants aux derniers jours de sa vie alors que finalement qu’est-ce que ça coûte en termes d’efforts de lui offrir cette dame Blanche ? Pas grand-chose.
Petits Frères des Pauvres : avez-vous rencontré de nombreux cas de personnes isolées dans votre service de soins palliatifs ?
L’Homme étoilé : On en rencontre beaucoup oui et c’est d’autant plus marquant qu’à l’inverse on rencontre aussi des familles qui sont aussi extrêmement bien entourées. Après, c’est toujours très délicat de comprendre les motifs de cet isolement. Il est vrai que c’est toujours difficile parce que nous, soignants, nous les rencontrons à un moment T de leur vie, on ne sait pas finalement, quelle mère, quelle épouse, quelle fille… ils ont été dans leur cadre familial. Je me garde de tout jugement à ce niveau-là.
Petits Frères des Pauvres : que pensez-vous du rôle des associations qui visitent les patients à l’hôpital, notamment en soins palliatifs ?
L’Homme étoilé : À Bruxelles d’où je viens, j’ai connu un service de soins palliatifs dans lequel il y avait une présence de bénévoles toute la journée : il y avait deux bénévoles qui se relayaient le matin et le soir, avec une implication un peu plus importante au chevet des patients. Ils étaient autorisés à leur donner à manger, à participer aux soins… D’un pays à l’autre, c’est très différent.
En France, je trouve que nous sommes encore un peu à la traîne sur l’implication et les bienfaits que les bénévoles pourraient représenter dans les équipes de soin. D’ailleurs on en rencontre assez peu même dans les autres services, en dehors des services de soins palliatifs. En soins palliatifs, on a la chance d’avoir un ratio de patients un peu diminué par rapport à des services traditionnels et donc d’avoir un peu plus de temps à leur consacrer en tant que soignant mais dans d’autres services, des bénévoles auraient toute légitimité à rencontrer des patients qui justement sont parfois assez isolés et auxquels les soignants ne peuvent pas accorder tout leur temps du fait d’une forte charge de travail.
Infos pratiques :
À la vie !
L’Homme étoilé
Editions Calmann-Lévy Graphic
Paru le 08/01/2020
16.50 €