Très médiatisée car souvent spectaculaire, la violence en EHPAD provoque, à juste titre, une vive indignation, qu’il s’agisse de négligence ou de mauvais traitements (violence physique ou violence psychologique). Pour autant, ce n’est pas la plus fréquente… Selon les chiffres de la Fédération 3977 (Numéro national destiné aux témoins et victimes de maltraitances), 73 % des faits signalés se déroulent au domicile et l’auteur présumé est souvent un proche. Aujourd’hui encore, ces maltraitances sont difficiles à appréhender et restent encore largement taboues car les victimes elles-mêmes peinent à se définir comme telles.
Cohabitations forcées : un contexte qui peut faire émerger de la violence
Comment explique-t-on les violences intrafamiliales ? Les facteurs sont multiples… Magali Assor, chef de projet sur la démarche de réflexion éthique et la lutte contre les maltraitances des Petits Frères des Pauvres explique : « Des conflits anciens, parfois larvés, avec des dynamiques familiales complexes créent les conditions d’émergence d’une violence envers le parent, isolé, qui avance en âge et perd en autonomie. Dans certaines familles, la violence a toujours existé et elle ne s’arrête pas lorsque l’un des membres devient très âgé. »
Depuis deux ans, la cellule appui conseil observe l’émergence d’un autre phénomène lié au contexte de crise économique : celui d’une progression de cohabitations non désirées entre des personnes âgées contraintes d’héberger leurs enfants ou petits-enfants. Souvent sans revenus et en proie à des difficultés multiples, ces descendants reviennent habiter chez leurs aînés par nécessité. Nous sommes alors loin d’un habitat intergénérationnel où la place de chacun est définie en amont et respectée.
« Dans un tel contexte, la personne âgée se retrouve comme prise en étau. D’un côté, elle ne se sent plus libre chez elle, de l’autre, elle n’a pas la force de s’opposer à ses enfants, petits-enfants ou encore son neveu, quel que soit leur comportement, au nom des liens qui les unissent. En effet, très souvent, si la personne âgée s’autorise à exprimer son désarroi, elle se rétracte presque aussitôt, se sentant dans l’obligation de protéger le membre de sa famille. Ses liens de loyauté mêlés à de véritables souffrances nous forcent à beaucoup d’humilité dans la manière d’approcher une situation si épineuse. Il nous faut œuvrer avec de la prudence et de la mesure », détaille Magali Assor.
Pour les Petits Frères des Pauvres, les confinements successifs ont contribué à dégrader certaines de ces situations et les difficultés économiques qui se profilent font craindre une progression de ce phénomène.
Les violences au sein des couples âgés : un autre tabou peu documenté

Les statistiques officielles de violences faites aux femmes ne prennent pas en compte les femmes victimes de plus de 75 ans. Ceci contribue à invisibiliser ce phénomène de violences conjugales et empêche de réfléchir collectivement à des pistes d’aide concrète.
Les femmes âgées cumulent les vulnérabilités : elles sont souvent très isolées, démunies et affaiblies physiquement et psychologiquement par des années de violence. « Les personnes âgées confrontées à de telles situations sont souvent résignées. Il leur est difficile de parler de ce qu’elles vivent. Si elles parlent, seront-elles écoutées, leurs paroles seront-elles accueillies et comprises ? », observe Claire Granger, directrice des Ressources pour l’Accompagnement des Petits Frères des Pauvres.
Autre donnée inquiétante, on estime que 26 % des victimes de morts violentes au sein des couples sont des femmes de plus de 60 ans, et 10 % des femmes de plus de 80 ans.
L’épuisement des aidants : être attentif aux signaux faibles pour prévenir des maltraitances
Devenir l’aidant de son parent ou de son conjoint est un changement de vie radical. De nombreux proches prennent soin au quotidien d’une personne âgée malade ou en perte d’autonomie. Cet engagement au jour le jour est souvent invisibilisé, émotionnellement difficile, physiquement et moralement épuisant sur la durée. Si l’aidant ne trouve pas de temps de répit et de relais possibles pour l’appuyer, le quotidien peut devenir le terreau de toutes les maltraitances (négligences, pressions psychologiques, mauvais traitements physiques) certes souvent non intentionnelles mais bien douloureuses pour nos aînés. Il est important de prêter attention aux signaux faibles qui peuvent alerter sur des prémisses de situations qui peuvent devenir dramatiques…
« Entre les institutionnalisations non consenties, les sur-stimulations conduisant parfois à une réaction d’agressivité, les acharnements alimentaires ou les marches forcées de personnes fatiguées, l’infantilisation, le mépris exprimé envers le malade, le fait de parler à sa place et à être le seul interlocuteur pour toutes les décisions sans envisager un instant que le malade peut s’exprimer, sans compter une sexualité peut-être non consentie au sein d’un couple ; les exemples sont nombreux qui peuvent effectivement interroger. », détaille Astrid Aubry, médecin du Centre hospitalier du pays d’Aix pour l’Espace Ethique de la Région Ile-de-France.
Les personnes âgées confrontées à de telles situations sont souvent résignées.
Des propositions à l’Assemblée Nationale
Dans le cadre d’une audition de plusieurs associations par la députée LREM Stéphanie Atger (16/11/2020), les Petits Frères des Pauvres ont émis plusieurs pistes d’amélioration. La députée, très sensible à la question des maltraitances familiales, a d’ailleurs publié une récente tribune à ce sujet.
Notre Association a notamment recommandé la sensibilisation et la mobilisation de l’opinion publique sur les phénomènes de maltraitances des personnes âgées vulnérables, un meilleur accès aux dispositifs d’aide pour les victimes et les proches aidants ou encore une amélioration des dispositions du code pénal afin de prendre en considération la notion d’abus de vulnérabilité.
Je crois avoir repéré une personne âgée maltraitée : que faire ?
- Ne prenez pas l’initiative de qualifier la situation de « maltraitance »
- Proposez à la personne un moment pour discuter et partagez avec elle l’inquiétude qui est la vôtre sur sa situation. Si elle accepte de se confier à vous, écoutez là sans prendre parti. Lui permettre d’exprimer ce qui est douloureux pour elle est déjà un premier pas.
- Même si cela peut sembler difficile, n’essayez pas de vouloir résoudre en quelques minutes une situation qui perdure sans doute depuis longtemps. La personne a besoin avant tout d’une écoute et non de solutions qu’elle ne se sentirait pas capable de mettre en œuvre.
- N’hésitez pas à contacter le 3977, numéro national dédié aux situations de maltraitances envers les personnes âgées et les adultes handicapés afin de pouvoir partager les éléments qui vous préoccupent. Des professionnels pourront alors vous donner les conseils et les conduites les plus ajustées en fonction de la situation singulière dont vous témoignez.
- En cas d’urgence (si vous entendez des cris, des coups,) prévenez la police au 17.