Petits Frères des Pauvres : Comment avez-vous vécu le confinement au printemps dernier ?
Estelle : Très mal. J’avais l’impression que je n’étais plus moi. Je naviguais comme une automate, je faisais tout machinalement. Je me sentais enfermée, comme si j’étais en prison. On ne pouvait jamais recevoir personne, n’avoir aucun contact… Cela a été très éprouvant.
Je dormais très mal aussi, je faisais sans cesse des cauchemars. Quand on entend des réflexions sur nous les personnes âgées, qu’il ne faut pas se donner du mal pour elles… ça mine le moral. C’est certain, elles ont fait leur vie, il vaut mieux préserver les jeunes. Heureusement, il y’en a qui s’en sont sorties du virus, me rassurait mon fils pour me remonter le moral. Je n’avais pas du tout le moral à ce moment-là… Puis quand on a dit vers juin « ça y est, c’est fini, vous pouvez ressortir un peu », j’étais contente !
Petits Frères des Pauvres : Vous êtes inquiète pour votre santé ou celle de vos proches ?
Estelle : Je craignais beaucoup pour mes proches et surtout mes petits-enfants. Au téléphone, une fois avec un bénévole des Petits Frères des Pauvres, j’ai craqué. J’ai dit : « Je n’ai pas le moral, je suis vraiment complètement désorientée. J’ai peur de ce qui va se passer, je vis tout ça très mal. » J’ai beau me raisonner, mais ça a du mal à passer…
Parfois j’essaie de me dire que je ne suis pas seule dans cette situation. J’essaie de penser à tous ceux qui sont dans le même cas que moi mais je le répéterai toujours ce qui me pèse énormément, c’est cette solitude. Je suis toute seule tout le temps du matin au soir, je ne vois personne.
Je suis toute seule tout le temps du matin au soir, je ne vois personne.
Petits Frères des Pauvres : Concrètement, comment la crise sanitaire a-t-elle changé votre quotidien ?
Estelle : Je n’avais pas d’appétit du tout, j’avais du mal à manger, je n’arrivais même plus à me faire à manger. Ma tête était ailleurs. Tout ça, ça traumatise quand même. Quand vous entendez les nouvelles, il y a tant de décès de personnes, ce sont des personnes âgées, tous les jours on entendait ça à la télévision. Vous ne pouvez pas savoir le mal que ça peut faire, tellement… que j’en avais marre d’entendre toujours les mêmes choses que j’en faisais des cauchemars ! Quand ils en parlaient aux informations, je changeais de pièce, j’allais dans ma chambre, je n’écoutais plus rien parce que plus ils en disaient, plus ça devenait dramatique pour nous, surtout les personnes de nos âges. Il y a de quoi avoir peur, il y a de quoi trembler.
Petits Frères des Pauvres : Vous vous êtes sentie privée pendant les confinements ?
Estelle : Oui. De ne plus voir mon fils et ma belle-fille, de ne plus voir personne, plus aucun contact… c’est ça qui m’a fait très mal parce que j’ai l’impression d’être abandonnée complètement. J’avais le sentiment de n’être plus chez moi, j’étais enfermée dans un enclos comme privée de tout le monde. Ça a été vraiment très dur. Je ne voudrais pas que ça se renouvelle parce que ça serait dramatique.
Quand on est tout seul, c’est encore pire. Quand on est en couple, qu’on a des enfants… c’est différent mais là toute seule, je me sens vraiment enfermée. C’est comme si on m’emprisonnait et qu’on me disait « tu ne sortiras plus, c’est fini tu ne verras plus personne, tu es punie ». J’ai été marquée et je le resterai jusqu’à la fin de mes jours.