Peux-tu décrire le cheminement qui t’a amenée à faire du bénévolat, et à choisir le bénévolat d’accompagnement de personnes malades, ou en fin de vie ?
Sylvie : Cela fait plus de 20 ans que je fais du bénévolat ! Je ne me suis jamais vraiment posé la question du pourquoi, ça me paraît naturel d’être présente aux autres.
Alors, pourquoi avoir choisi récemment de faire du bénévolat auprès de personnes gravement malades et en fin de vie ?
Je dirais d’abord qu’il y avait en moi un véritable intérêt intellectuel et humain sur tout ce qui a été écrit sur la mort. Les livres de Marie de Hennezel ont certainement été un ‘’déclencheur » pour moi. ‘’S’il y avait eu un espace d’écoute et de parole, elle serait partie plus sereine » Mais ce bénévolat, il s’inscrit aussi dans mon parcours. Il y a plus de 10 ans, j’ai été amenée à accompagner une amie très proche, qui est décédée d’un cancer du foie. Elle est morte en plein conflit familial. On imagine que l’approche de la mort apaise les relations et transcende les ressentiments et les non-dits qui peuvent s’incruster au sein d’une famille. Hé bien pas du tout ! Elle est morte dans une détresse abyssale. Ca m’a marquée. Elle n’a jamais pu déposer ce qu’elle avait sur le cœur. Sil y avait eu un espace d’écoute et de parole, elle serait partie plus sereine. ‘’L’argent ne fait rien à l’affaire : à l’approche de la mort, sans accompagnement, la solitude et la souffrance psychique sont là » Et puis ma maman est décédée l’an dernier, après un an et demi passé en EHPAD (Etablissement d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes). Dans cette maison de retraite très chic, très chère, j’ai senti de façon très palpable la détresse des personnes âgées. L’argent ne fait rien à l’affaire : à l’approche de la mort, sans accompagnement, la solitude et la souffrance psychique sont là. Alors je me suis dit mes enfants sont grands (14 et 18 ans), ma vie professionnelle est stable, j’ai cette disponibilité – mentale et en temps (une après-midi par semaine) – pour aller à la rencontre de ceux qui sont malades et en fin de vie.
Comment se sont déroulés tes premiers accompagnements ? Quels enseignements en as-tu tiré ?
Quand on arrive, c’est avec l’envie d’aider. Je n’imaginais pas quelque chose de précis mais quand même, naïvement, je croyais qu’il s’agissait d’une aide à la personne, une sorte de compassion active à manifester. J’ai vite réalisé que ce qui compte surtout pour le malade, c’est avant tout la présence et l’écoute. ‘’Je me suis autorisée à laisser le silence s’installer, en toute sérénité » Mes premiers accompagnements se sont bien passés mais j’ai eu au début des difficultés. Quand des moments de silence s’installaient j’étais mal à l’aise. Comme s’il fallait combler un vide. Et puis, un week-end, j’ai suivi la formation sur l’écoute. Ca m’a beaucoup aidée. Je me suis autorisée à laisser le silence s’installer, en toute sérénité. J’ai appris aussi à respecter le rythme de la personne malade, qui n’est pas le même que celui des bien-portants. Peu de temps après cette formation, le hasard a fait que je me suis retrouvée au chevet d’une personne âgée très malade, qui s’exprimait très lentement. Et, miracle, j’ai su rentrer dans son rythme. Et c’est dans cet espace respecté de silences et de lenteur qu’elle a pu spontanément exprimer sa souffrance, la déposer, s’en soulager en quelque sorte. Maintenant que je sais être dans le rythme de la personne et dans le silence, je suis étonnée de voir combien les personnes s’en saisissent. On reçoit des confidences de vie. Un jour, l’une d’entre elles m’a dit ‘’Ce que je vous dis là, je ne pourrais pas le dire, ni à mes enfants ni à mon mari ». ‘’Ce moment de partage, je ne l’oublierai jamais » Il y a une autre chose que je voudrais dire aussi sur le respect du rythme de la personne. Ca peut donner des situations émouvantes et inimaginables ! J’étais au chevet d’une femme qui avait, elle, un grand besoin de communication. Elle m’avait dit être témoin de Jéhovah, que c’était un moyen pour elle d’exprimer sa spiritualité, mais que sa passion c’était l’opéra. Ce jour-là, elle ne se sentait pas bien car elle avait des nausées. Elle s’est mise à chanter un air de Rossini et je l’ai suivie, à deux voix. Elle était contente, son regard pétillait ; de temps en temps, quand elle sentait monter un haut-le-cœur, elle s’arrêtait de chanter pour s’emparer de la bassine au cas-où, et puis elle reprenait de plus belle ! Ce moment de partage, je ne l’oublierai jamais.
Comment se passent tes relations avec le personnel soignant ? As-tu des éléments positifs à souligner ou as-tu des souhaits d’amélioration de ces relations ?
Ce service Oncologie de l’hôpital Saint Antoine est vraiment exceptionnel. Le personnel est bien-sûr débordé, comme partout ailleurs, mais ce qui fait la différence, ce sont les malades eux-mêmes qui le disent, c’est la qualité de la communication, il y a un véritable respect de la personne. Pour moi, avec eux, ça se passe très bien. Il y a de la complicité, des sourires.
As-tu été amenée à croiser la famille au chevet des personnes que tu accompagnes ? Si oui, ton bénévolat d’accompagnement te semble-t-il pouvoir s’étendre aux proches des personnes malades ou en fin de vie, et sous quelle forme ?
Au début, je n’étais pas sûre de moi et quand la famille était là, j’évitais un peu. Mais les circonstances se chargent de te mettre en présence des familles ou des proches ! J’ai deux exemples qui me viennent à l’esprit : Celui de ce monsieur que je visitais. Au début de nos premiers échanges, je l’ai senti un peu confus, désorienté, mais surtout très angoissé. Parce que j’ai pu laisser place au silence, il m’a confié de façon très cohérente l’angoisse que lui procurait sa maladie. Et puis son épouse est rentrée dans la chambre. Elle m’a regardée de façon peu amène, d’un air de dire ‘’Qu’est-ce qu’elle fait là ? » Bien-sûr je me suis présentée : ‘’Sylvie, je suis bénévole. Je viens de parler un peu avec votre mari. ». Elle m’a regardée avec une grosse incrédulité, et, devant lui, elle a répondu : »Ca ne sert à rien, on ne peut pas parler avec lui ». Je l’ai sentie fermée. Alors j’ai gentiment pris congé de ce monsieur, en le remerciant des quelques paroles que nous avions échangées. Ce que j’ai vécu là montre qu’on peut se retrouver en situation d’impuissance vis-à-vis des proches. ‘’Ils se sont mis à parler ensemble, disant en quoi la maladie avait changé leur regard les uns sur les autres » A l’inverse, je me souviens de ce monsieur, ancien exploitant agricole, qui m’avait exprimé combien cela lui était difficile, lui qui n’avait jamais quitté sa ferme et s’y était investi intégralement, de se voir contraint, avec sa maladie, de lâcher prise et de déléguer. Son épouse avait pris le relais et s’en sortait bien. »Il faut que j’apprenne à vivre à côté de mon exploitation, à côté de ma maladie, dans un espace où je suis un être vivant et debout » m’avait-il confié. Le jour où je me suis retrouvée en présence de son épouse et de sa mère, j’ai vécu un moment fort auquel je ne m’attendais pas. Devant moi qui étais en quelque sorte leur »témoin », ils se sont mis à parler ensemble, disant en quoi la maladie avait changé leur regard les uns sur les autres. C’étaient des échanges fluides, avec des regards qui disaient les liens qui les unissaient, et j’étais là, je n’ai rien déclenché mais je sentais que par mon écoute et mon respect, je participais à cette circulation.
Te sens-tu suffisamment ‘’accompagnée » par la Fraternité accompagnement des personnes malades ? La formation te paraît-elle suffisante ? Les occasions d’échanges (transmissions, groupes de paroles) te paraissent-elles correspondre à tes besoins ?
Je ne m’attendais pas à un tel encadrement, et en quantité et en qualité. Je me reconnais dans les valeurs d’humanité, de non jugement, de respect de la personne que portent les petits frères. J’attends la formation sur la communication non verbale qui devrait m’être tout aussi utile que celle sur l’écoute. J’aimerais bien aussi en apprendre plus sur l’accompagnement des familles et des proches car je me sens encore un peu démunie.
Et enfin, si tu devais exprimer en quelques mots seulement, ou en une phrase, ce que sont tes accompagnements, tels que tu les pratiques ou tels que tu souhaites les pratiquer, tu dirais quoi ?
Accompagner, c’est proposer une présence, une écoute bienveillantes. A partir de là, tout peut se déployer.